Exécution provisoire et détention provisoire
La récente actualité judiciaire a donné lieu à une couverture médiatique sans précédent, où on a pu entendre tout et son contraire à propos de la présomption d’innocence, de l’exécution provisoire, de la détention provisoire, de l’impartialité des magistrats, de la « république des juges », etc.
Etant donné la personnalité des condamnés, ce battage médiatique est assez peu surprenant, même si nombre d’interventions de chroniqueurs autoproclamés pénalistes relèvent plus du soutien politique que de l’analyse juridique.
Nous avons exprimé ici même notre soutien entier à la Présidente du Tribunal Correctionnel de Paris, dont l’impartialité a été violemment mise en cause.
Nous n’allons pas y revenir, mais nous voudrions ici clarifier certains points.
Rappelons qu’en droit pénal existe le principe de la présomption d’innocence. Ce qui signifie que tant qu’un prévenu n’a pas été condamné définitivement, il est présumé innocent.
Par conséquent, un condamné qui fait appel redevient présumé innocent, jusqu’à ce que la cour d’appel ait rendu son jugement.
Si l’arrêt de la cour d’appel confirme le jugement du Tribunal de première instance, le condamné peut encore former un pourvoi devant la Cour de Cassation, auquel cas, jusqu’à ce que cette dernière rende son arrêt, il continue à être présumé innocent.
Si la Cour de Cassation casse l’arrêt de la cour d’appel, elle renvoie le condamné devant une autre cour d’appel qui rendra obligatoirement son arrêt conformément aux orientations de la Cour de Cassation. Jusqu’à la publication de cet arrêt par la Cour d’appel, le prévenu est toujours présumé innocent.
Si la Cour de Cassation rejette le pourvoi, la condamnation devient définitive.
Bien évidemment, lorsqu’un condamné renonce à faire appel ou à se pourvoir en cassation, sa condamnation devient définitive.
Tels sont les principes du droit pénal français.
Mais les choses ne sont pas si simples.
Lorsqu’un prévenu est condamné à plus d’un an de prison ferme, le Tribunal peut, sous réserve de motiver sa décision, décider d’un mandat de dépôt, c’est-à-dire ordonner le placement du condamné en détention. Il ne faut pas confondre cette détention, qui est la mise en application immédiate de la condamnation, avec le régime de la détention provisoire, qui n’a rien à voir avec une condamnation. Le prévenu en détention provisoire n’est pas condamné : il n’a pas encore été jugé.
Par conséquent le mandat de dépôt ne peut concerner qu’une personne condamnée à plus d’un an de prison ferme.
Il faut savoir que 85 % des peines égales ou supérieures à cinq ans d’emprisonnement sont assorties d’un mandat de dépôt. Il n’y a donc là rien d’exceptionnel.
Mais, et c’est là qu’intervient la notion d’exécution provisoire, le mandat de dépôt peut être à effet immédiat, ou à effet différé.
Dans le premier cas, le condamné est immédiatement conduit en prison, dès le prononcé du jugement. Il peut faire appel, bien entendu, mais l’appel n’est pas suspensif : il restera en prison jusqu’à l’audience en appel. Il peut toutefois demander une remise en liberté provisoire, qui lui sera accordée ou non.
Le mandat de dépôt à effet différé, introduit en 2019, permet de repousser l’exécution immédiate de la peine d’incarcération afin d’amortir le choc ou la violence de cette dernière (article 464-2 Code de procédure pénale). Dans ce cas, le condamné est convoqué devant le Procureur dans le délai d’un mois après le jugement, pour être informé de la date à laquelle il sera mis en détention, ce qui lui permet de s’organiser avant son incarcération.
Aucun aménagement de peine n’est possible avant l’incarcération : le condamné doit d’abord être incarcéré avant d’en formuler éventuellement la demande.
Dans le cadre d’un mandat de dépôt à effet différé, l’intéressé est libre car sa peine n’est pas encore exécutée. D’où le fait d’assortir cette dernière de l’exécution provisoire. Cela permet de poursuivre la mise à exécution du mandat de dépôt malgré l’appel formé contre la condamnation prononcée en première instance.
En quelque sorte, la condamnation avec mandat de dépôt à effet différé assortie de l’exécution provisoire place le condamné sur le même plan que celle portant mandat de dépôt à effet immédiat, si ce n’est qu’il bénéficie d’un laps de temps, limité (maximum 4 mois), avant son incarcération.
C’est exactement ce qui s’est passé lors du procès de Nicolas Sarkozy pour association de malfaiteurs, délit pour lequel il a été condamné à 5 ans de prison ferme.
Son incarcération ne relève donc pas de la détention provisoire, comme voudraient le faire croire certains de ses partisans. Nous l’avons déjà dit : la détention provisoire concerne des prévenus en attente de jugement.
L’incarcération relève bien de l’exécution provisoire de la peine de 5 ans de prison ferme avec mandat de dépôt, exécution provisoire motivée par le Tribunal Correctionnel dans son jugement.
On peut discuter du bien-fondé du principe de l’exécution provisoire. Mais il faut rappeler que cette mesure a été votée par le Parlement, qu’elle a été confirmée par la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil Constitutionnel, et qu’on ne peut donc pas reprocher à un Tribunal d’appliquer la loi.
Mais elle nécessite une appréciation individualisée. Dans le cas de la décision Sarkozy, les partisans de l’ancien président invoquent deux arguments pour contester la légitimité de la mesure :
* Ils considèrent que l’application de cette mesure n’est pas individualisée (ou ne correspond pas à sa situation). C’est pourtant la première fois qu’un candidat à la présidence de la République, poste qui en fera, une fois élu, le garant de l’indépendance de la justice, est reconnu coupable d’association de malfaiteurs et condamné à 5 ans de prison ferme. Le Tribunal a notamment évoqué la gravité sans précédent des faits et le risque de trouble à l’ordre public pour justifier l’exécution provisoire du jugement : chacun se fera son opinion.
* Le deuxième argument consiste à affirmer que le Tribunal s’est basé sur une jurisprudence antérieure concernant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité pour l’appliquer à une peine d’emprisonnement. Il nous semble pourtant que l’exécution provisoire concerne la sanction pénale dans son intégralité, et non une de ses modalités particulières, en l’occurrence le mandat de dépôt.
Comme rappelé plus haut, le mandat de dépôt est monnaie courante lors des condamnations à 5 ans de prison ferme ou plus.
Il semble que la personnalité du condamné et les soutiens qu’il a mobilisés ont davantage compté dans la polémique ayant suivi le jugement que les éléments purement juridiques qui le fondent. Ce n’est pas très surprenant, mais c’est éminemment regrettable et particulièrement inquiétant.
ETHICPOL est et restera ouvert au débat, mais affirmera toujours son soutien à l’institution judiciaire, dont l’indépendance est garante des libertés républicaines.
Contacter ETHICPOL, Ensemble contre la corruption : contact@ethicpol.com
Visiter le site de l’association : www.ethicpol.fr
Adhérer ou faire un don : https://www.helloasso.com/associations/ethicpol
