Rocher Mistral : nous saisissons le procureur
Voici le signalement que nous avons adressé au procureur concernant Rocher Mistral
Tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence
M. jean Luc BLANCHON
Procureur de la République
40 boulevard Carnot,
13616, Aix-en-Provence Cedex 1
Salon-de-Provence le 6 septembre 2023
Monsieur le Procureur,
L’association de lutte contre la corruption ETHICPOL, prise en la personne de ses représentants Madame Michèle JUNG et Monsieur Bernard FRAUDIN co-Président(e)s de l’association, portent à votre connaissance les faits suivants relatifs à plusieurs agissements apparemment délictueux concernant la société Mistral propriétaire du château de la Barben transformé en parc d’attraction.
Vous trouverez sous ce pli un signalement et les pièces vises annexées, en complément des plaintes déjà déposées par le maire de la Barben (13330), par une association de défense de l’environnement, par la DRAC, et l’ABF dans la perspective d’une audience programmée en novembre prochain
Entreprise concernée :
SAS Rocher Mistral
Adresse administrative :
Chemin de la Baou,
13330 La Barben
Période des faits :
Depuis l’ouverture officielle du parc d’attraction Rocher Mistral le 1e juillet 2021
Les faits :
Il s’agit d’un château classé monument historique au cœur d’un domaine de 400 hectares, construit au 11ème siècle à La BARBEN (13009) entouré d’un jardin dit » le NOTRE » également classé, qui appartenait depuis 1474 à la famille Forbin. Il a été vendu en 2019 à la société MISTRAL (sas la Barben) dirigée par Mr Vianney d’Alençon (actionnaire minoritaire) associé au groupe Dassault et à d’autres financeurs.
Le projet mistral se décompose en trois parties :
La restauration du château avec ouverture dès le 1juillet 2021 ;
La création d’un parc de loisir ;
La création d’une zone commerciale.
On rappellera que le classement a pour principale conséquence de fixer les conditions de restauration d’un bien afin de protéger le patrimoine historique du pays.
Aucuns travaux ne peuvent être effectués sans une autorisation préalable du Préfet de Région (DRAC). Les travaux autorisés s’exécutent sous le contrôle des services chargés des monuments historiques. Le périmètre de protection inconstructible est de 500 mètres autour du château et dans son champ de visibilité.
La nouvelle société a entamé, sans autorisations ni étude d’impact préalable, la transformation ce site classé de 53 000 m2 en parc d’attraction.
Le cout global du projet a été estimé à 37M€. Pour cela, elle a réalisé toute une série de travaux alors que le permis d’aménager n’a pas été délivré comme suite à un avis défavorable de l’architecte des bâtiments de France.
1. Les aménagements et travaux effectués sans autorisation sur le site et ses abords :
Le site du château étant boisé, une autorisation de défrichement de l’État était nécessaire eu égard aux arbres abattus et surtout en regard du projet d’extension du parc comprenant notamment des tribunes respectivement de 2000 et 1500 places, auxquels il convient d’ajouter plusieurs ponts sur la Touloubre et sur son affluent le Lavaldenan.
Par ailleurs, le maitre d’ouvrage, la SAS la Barben a déposé 7 demandes d’autorisation, 5 permis d’aménager et 3 permis de construire. Les dossiers de travaux ont été remis entre le 2 mars et le 25 juin 2021 pour une ouverture le 1 juillet de la même année (sic).
Au total, tous les travaux ont été réalisés sans aucune autorisation. Les permis de construire déposés ont reçu un avis défavorable de l’ABF.
Dans son courrier, en date du 14 septembre 2021 adressé à Monsieur RYCKNER Didier, directeur de la tribune de l’art, le Préfet des Bouches du Rhône relève que les services de la DDTM et de la DRAC ont constaté « la réalisation de constructions ou d’aménagements sans autorisations ». Il précise également que » d’autres travaux ont été engagés sans démarche préalable ou malgré un refus d’autorisation sollicité. Ceci concerne des Algécos installés dans le parc notamment. « L’ensemble des procès-verbaux ont été transmis au procureur de la république à qui il appartient d’apprécier l’opportunité d’engager des poursuites ».
Le propriétaire signale que le déroulement de ces procédures a été partagé régulièrement avec le maire de la commune par le sous-préfet d’Aix en Provence. La réalité est celle d’une épreuve de « force » imposée au maire d’une petite commune qui protège, avec des moyens limités, ses administrés dans le strict respect des lois de la république.
De son côté, le 17 juillet 2021, le sous-préfet d’Aix en Provence déclarait dans le journal la Provence que la société disposait de « toutes les autorisations nécessaires » alors qu’il ne s’agissait, selon le courrier du Préfet cité ci-dessus, que de confirmer l’avis favorable de la sous-commission départementale de sécurité relative aux ERP de 1ére catégorie réunie le 1 juillet 2021 jour de l’ouverture du site au public !
L’avis de cette même commission rendu le jour de l’inauguration en présence d’un ministre et des plus hautes autorités civiles et militaires de la région, était assorti de 5 dérogations avec mesures compensatoires immédiates et de 27 prescriptions complémentaires. En pareille circonstance, l’avis de ladite commission aurait dû être défavorable eu égard à la multitude des risques signalés.
Il est clair qu’au moment de l’inauguration quelques heures plus tard, ces prescriptions ne pouvaient matériellement pas être toutes levées. Il convient d’ajouter que le sous-préfet d’Aix en Provence qui ne présidait pas cette séance a pourtant participé aux discutions puis signé le procès-verbal. Cette séance s’est ainsi déroulée dans des conditions telles que l’impartialité de l’avis peut être mis en cause d’autant que ni la DRAC ni l’ABF n’ont été auditionnés par la commission.
Aujourd’hui ce parc est ouvert au public alors que les demandes de régularisations réclamées par le propriétaire ont toutes été refusées par la DRAC et l’ABF.
– L’Urbanisme
Les aménagements réalisés sont incompatibles avec les exigences urbanistiques des lieux. Ainsi, la zone de la Barben (13330) est identifiée comme « espace agro-naturel d’indice 1 » dans le SCOT du pays salonais et comme « espace agricole de vocation spécialisée » dans la directive territoriale d’aménagement des Bouches du Rhône. Le quartier est également en RNU ce qui signifie qu’aucune construction n’est possible sauf si le projet relève d’’un intérêt public. Cet argument ne peut être retenu, s’agissant des spectacles proposés par la société mistral qui véhiculent un message, non validé par un conseil scientifique, qui n’a strictement rien à voir avec la réalité établie par les historiens universitaires. Il ne s’agit que d’un spectacle où seuls les intérêts commerciaux prévalent. De plus, nous sommes dans une zone classée Natura 2000, zone protégée LPO, ZNIEF 1 et 2, aucun terrain n’est constructible, (zone d’intérêt écologique, faunistique, et floristique : un espace naturel inventorié en raison de son caractère remarquable).
– Le monument historique :
Plusieurs bâtiments ainsi que les jardins dit « le Nôtre » sont classés monuments historiques. Pour autant, la société a réalisé divers travaux et aménagements sans la moindre autorisation de la DRAC et de l’ABF.A cet égard, plusieurs plaintes ont été déposées sur cette question.
3 l’environnement
La réalisation du projet global, provoquera l’abattage de centaines d’arbres et l’artificialisation/pollution d’une dizaine d’hectares dont 4 hectares de terres agricoles.
Par ailleurs, les nuisances sonores et lumineuses des spectacles mettent en danger plusieurs espèces protégées : les chauves-souris à oreilles échancrées et l’aigle de Bonelli. Un récent rapport de la MRAe confirme, contrairement aux affirmations de la société mistral, que la population de cette espèce ne cesse de diminuer depuis l’inauguration. En effet, le château de la Barben héberge dans ses souterrains l’une des plus importantes colonies de Murins à oreille échancrées de la région Sud avec près de 700 individus avant ouverture du site aux spectacles. Cette espèce figure sur la liste rouge des espèces menacées de l’union internationale pour la conservation de la nature. Ce projet aura aussi comme inévitable conséquence la dégradation des lieux de chasse de l’aigle de Bonelli, rapace emblématique de notre territoire. Le service spécialisé de l’OCLAESP des Bouches du Rhône a été alerté par notre association ; aucune réponse ne nous été apportée.
Des riverains du Rocher Mistral, constitués en association, ont été reçus trois fois par le préfet pour des nuisances sonores répétées et prolongées qu’ils comparent au fait de « vivre au milieu d’une kermesse à ciel ouvert de 9h30 du matin jusqu’à 23h30 ».
Quid de la biodiversité qui ne peut s’en plaindre de la même manière ?
Dans un reportage diffusé sur la chaîne M6 le 25 décembre 2022 [1], les gérants semblaient découvrir la colonie de chauve-souris, nichée derrière une cloison séparant une salle d’animation et de spectacle. Comment vivent ces animaux depuis l’ouverture du Rocher Mistral ?
Nous demandons l’application et le respect du Plan National d’Actions Chiroptères, des conservatoires des espaces naturels (ministère de l‘Ecologie)[2] et des textes européens prévoyant la protection des chiroptères (Convention de Bonn du 23 juin 1979 sur la conservation des espèces migratrices, Convention de Berne du 19 septembre 1979 sur la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, l’Accord EUROBATS du 4 décembre 1991 à propos de la conservation des populations de Chauves-souris d’Europe et la Directive européenne Habitats-Faune-Flore (CEE N°92/43) annexe IV qui indique que les microchiroptères nécessitent une protection stricte. L’annexe. II dresse une liste des espèces d’intérêt communautaire.)
L’aigle de Bonelli vit également sur le site.
L’Aigle de Bonelli, comme toutes les espèces de rapaces, est protégé en France au titre de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature. Au niveau français, l’espèce est inscrite sur la liste rouge de la faune menacée dans la catégorie « en danger ».
Le 3e « Plan national d’actions (PNA) en faveur de l’aigle de Bonelli – 2014-2023 », initié par le ministère de l’écologie fixe en 3e objectif « Organiser la surveillance et diminuer les sources de dérangements », ce qui nous semble être au cœur de la situation de cet animal dans sa cohabitation avec les nuisances engendrées par les activités du parc Rocher Mistral.
Dans ce 3e plan, il est noté comme fait notoire et comme avancée déterminante pour sa protection, le jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 mai 2012 annulant le permis de construire d’un parc photovoltaïque à La Barben.
Pourquoi ce qui a été interdit en 2012 serait-il autorisé en 2021 ?
L’avenir des espèces sauvages et de l’environnement est gravement menacé si l’on en croit demande d’autorisation au titre du défrichement du Rocher Mistral déposée le 6 juillet 2020.
L’Avis délibéré de la Mission régionale d’autorité environnementale Provence-Alpes-Côte d’Azur[3] est à notre sens, suffisamment détaillé et étayé pour que notre signalement repose sur ses indications. Les aspects environnementaux et l’insuffisance de prise en charge de la protection de la biodiversité existante sur le site nous semblent de nature à empêcher toute nouvelle intervention sur le site propre à mettre en difficulté la biodiversité et de nature à mettre en danger l’environnement local.
Dès le préambule, la MRAe note :
« En raison de sa localisation et au regard de son activité, le projet est concerné par de multiples enjeux environnementaux : prise en compte des risques naturels d’inondation et d’incendie de forêt, préservation de la biodiversité, préservation du cadre de vie (bruit et trafic) et intégration paysagère.
Si l’étude d’impact aborde les diverses thématiques environnementales, elle n’en propose pas une analyse suffisamment approfondie ni proportionnée et la mise en œuvre de la séquence « éviter, réduire, compenser » n’est pas à la hauteur du caractère exceptionnel du site.
Concernant les risques d’inondation et d’incendie de forêt, le projet prévoit de s’établir sur un espace qui fait l’objet d’une recommandation d’inconstructibilité au titre de deux porters à connaissance de l’État.
Le château accueillant une colonie de chiroptères d’envergure régionale, le projet conduit à un dérangement irréversible de ces espèces, ainsi que sur l’Aigle de Bonelli, espèces toutes deux sensibles au bruit et à la lumière, pour lesquelles la compensation envisagée ne démontre pas l’absence de perte nette de biodiversité.
Le dossier ne prévoit pas de compensation adaptée aux surfaces de zones humides impactées.
Au regard des impacts résiduels qui restent importants, la MRAe considère que le projet porte une atteinte significative aux objectifs de conservation du site Natura 2000 « Garrigues de Lançon et Chaînes alentour ».
4 le risque inondation
Cette zone est aux abords de la Touloubre qui est un fleuve à crues torrentielles ; le domaine étant classé par le SDIS/13 en espace inondable « aléas fort ».
Actuellement le site est ouvert au public alors qu’aucun système d’alerte de crue n’est installé. Par ailleurs, ce type de système impose, en principe, que les installations en zone inondable « aléas fort » soient totalement démontables en quelques heures.
De plus, le risque incendie est particulièrement élevé dans cet espace peu accessible aux moyens de lutte contre l’incendie.
Le fleuve Touloubre est classé « fleuve à crues torrentielles ». Ce fleuve est connu pour ses crues soudaines en 1973, 1976, 1979, 1986, 1993, 1994, 2003. Son bassin versant a été classé parmi les territoires à risque important d’inondation en 2012. Une étude scientifique réalisée par l’université de Provence à la suite d’une crue en 1993, a confirmé qu’il ne s’agissait pas d’un évènement exceptionnel dû à des circonstances météorologiques rarissimes mais d’un nouveau type de crue liée à l’urbanisation excessive, à l’abandon des terrasses agricoles ou à l’extension des zones d’habitation à proximité de la touloubre. Les tribunes, et les parkings implantés à proximité immédiate de la touloubre et son affluent Le Lavaldenan mettent en danger celles et ceux qui assistent à ces spectacles d’autant qu’aucun système d’alerte de crue n’est installé.
5 Le risque incendie
La carte des Bouches du Rhône des aléas induits pour les feux, classe la parcelle en zone d’aléa fort voire très fort pour les boutiques. En 1991 un incendie est arrivé à proximité du jardin potager actuellement ouvert au public. De plus l’étroitesse des voies d’accès constituent une aggravation de la menace eu égard au volume de public accueilli.
6 Les incohérences financières
Cette entreprise privée a bénéficié d’une subvention du Conseil Régional (délibération du 17 décembre 2020) de 3 350 000 € (montant subventionnable de 19 525 336€ HT) pour la réalisation d’un projet « agroécologique » !
Puis d’une subvention de 2 495403 € du département des Bouches du Rhône, soit 40% du montant de la dépense subventionnable pour des travaux de restauration et d’aménagement du château de La Barben dans le cadre d’un projet touristique et patrimonial du parc rocher mistral. En fait, il s’agissait de restaurer les écuries « classées » qui ont été transformées en « salle de restaurant » !
Des subventions de l’État/DRAC ont également été accordées :
Travaux urgents, toitures et terrasses : 115 563,16 €
Écuries, calade : 200 000€.
De plus, le jeudi 2 juillet 2021 le parc a été survolé par la patrouille de France en pleine inauguration avec un « lâcher » de fumées tricolores. Le cout de ce survol, compte tenu de la proximité de la base par les 8 alpha jets de la patrouille de France peut être estimé à 40 000 euros.
Selon les termes du règlement européen « de minimis » les aides publiques aux entreprises privées ne sont autorisées que pour un montant plafond de 200 000 € sur 3 exercices fiscaux consolidés. Au-delà de ce montant, les aides doivent être autorisées par la commission européenne.
Or, dans le cas présent, hors subventions de l’État/DRAC, ce projet a bénéficié d’un financement public de plus de 6 millions € !
Quant à la subvention indirecte du ministère des armées, elle est également soumise au règlement européen « de minimis ». En effet, la commission européenne ne distingue pas les aides indirectes des aides directes sous forme de subventions.
Ce règlement a été prorogé jusqu’au 31/12/2023 par une décision de la commission du 1 juillet 2020.Sur ce point, La CRC PACA a été saisie par notre association.
On doit également s’intéresser à la passivité du conseil départemental et du conseil régional qui ont financé le projet en l’absence de toute autorisation alors que ces dernières constituent un préalable incontournable. Interrogé, à notre demande, par un parlementaire, le ministre de l’économie n’a pas encore apporté de réponse.
Conclusions
Le projet mistral, réalisé sans aucune autorisation est typiquement ce qu’il ne faut plus faire dans les territoires. En dépit de la prise de conscience environnementale eu égard notamment au dérèglement climatique, aux infractions patrimoniales, aux risques inondation et incendie, la société Mistral persiste à considérer la loi comme une simple variable d’ajustement qui doit « s’adapter » aux impératifs financiers d’un projet sans rapport avec la culture provençale, largement financé sur fonds publics dans des conditions très contestables.
Indépendamment des délits signalés dans les diverses plaintes déposées, notamment celle du maire de La Barben, il semble que ce dossier pourrait être constitutif d’une mise en danger de la vie d’autrui et d’un détournement de fonds publics ; points sur lesquels il vous appartient de juger.
MICHELE JUNG BERNARD FRAUDIN
[1] Zone interdite, M6, 25 décembre 2022, 00’45 du début du reportage
[2] https://plan-actions-chiropteres.fr/les-chauve-souris/protection
[3] N° MRAe 2023APPACA6/3331-3342 – https://www.paca.developpement-durable.gouv.fr/spip.php?page=recherche&recherche=La+Barben