INELIGIBLE POUR 5 ANS ?
L’affaire des assistants parlementaires du FN, rebaptisé RN, fait couler beaucoup d’encre depuis que le parquet a requis cinq ans d’inéligibilité à l’encontre de Marine Le Pen, avec exécution provisoire.
Ce dernier point suscite l’indignation d’une partie de la classe politique, car il a des conséquences évidentes sur la carrière politique de Mme Le Pen.
Il y a pas mal de confusion dans cette affaire, car beaucoup de commentateurs ont tendance à confondre réquisitions et jugement, et oublient certaines dispositions de la loi qui rendent les choses plus complexes qu’il n’y paraît.
Essayons d’y voir plus clair.
Rappelons pour commencer que L’article 131-26-2 du code pénal prévoit une peine complémentaire d’inéligibilité obligatoirement prononcée à l’encontre des coupables de crimes ou de certains délits, dont le détournement de fonds publics, délit précisément reproché à la patronne (à l’époque) du FN.
Lorsque le Procureur requiert 5 ans d’inéligibilité à l’encontre de Marine Le Pen, il ne fait rien d’autre que son travail de Procureur.
Ce dernier ne « prononce » pas les peines : il les requiert. Si la loi prévoit qu’une peine d’inéligibilité soit obligatoirement prononcée, il est parfaitement normal que le Procureur la requière. Qu’y a-t-il là de choquant ?
C’est le Tribunal qui pourra prononcer la peine « obligatoire » prévue par la loi et requise par le Procureur, le 31 mars 2025.
Pourquoi « pourra prononcer », et pas « prononcera », alors que la peine est obligatoire ?
Parce qu’il existe en droit pénal un principe auquel le Conseil Constitutionnel est particulièrement attaché : c’est celui de l’individualisation des peines.
Il en résulte que le juge conserve la possibilité d’écarter l’inéligibilité « par une décision spécialement motivée […] en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ».
Le Tribunal décidera s’il y a lieu ou non de suivre les réquisitions du Procureur, ou s’il y a lieu d’écarter l’inéligibilité «en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur».
Remarquons que la possibilité donnée au Tribunal d’écarter l’inéligibilité n’a ces dernières années jamais été utilisée. Chaque fois qu’une peine obligatoire complémentaire d’inéligibilité était prévue par la loi, elle a été prononcée par les juges.
Ce qui choque les partisans de Mme Le Pen, c’est la requête d’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité.
Beaucoup de confusion, là encore…
Le Procureur requiert une application provisoire de la peine. Il ne la décide pas : ce n’est pas en son pouvoir. Quand il formule ses réquisitions, il n’a pas à prendre en compte les projets électoraux de Mme Le Pen.
Et il motive sa requête : en l’espèce, il fait valoir que le parti «a déjà été condamné pour des faits de détournements frauduleux de fonds» et évoque un «impératif d’exécution [de la peine] dans des délais raisonnables», alors que les prévenus ont «tout fait pour repousser la décision de justice».
C’est le Tribunal qui décidera :
- S’il y a lieu de condamner la prévenue à la peine requise par le Parquet
- Et s’il faut procéder à l’exécution provisoire de la peine, ce qui ne prive pas la prévenue de son droit de faire appel, mais la rend inéligible immédiatement.
Si le Tribunal décide d’une peine d’inéligibilité, et de son exécution provisoire, le mandat de députée de Mme Le Pen devrait donc, en théorie, immédiatement prendre fin.
En théorie ?
En effet, il existe une jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui permettrait à Mme Le Pen de conserver son mandat de députée jusqu’à son terme, car le Conseil a jugé que seule une décision judiciaire définitive pouvait mettre fin au mandat d’un parlementaire.
La peine d’exécution provisoire ne peut donc pas s’appliquer aux parlementaires en ce qui concerne leur mandat de député ou de sénateur en cours.
C’est cette jurisprudence qui avait permis à Jean-Noël Guérini, condamné à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire en mars 2021, de continuer à siéger au palais du Luxembourg (et de percevoir ses indemnités de sénateur) jusqu’en mars 2024, date à laquelle sa condamnation était devenue définitive.
Sauf condamnation définitive avant la fin de son mandat actuel, Mme le Pen restera donc députée jusqu’à son terme, car nul doute qu’elle exercerait un recours devant le Conseil Constitutionnel en cas d’inéligibilité avec exécution provisoire prononcée par le Tribunal le 31 mars prochain.
En revanche, que se passerait-il en cas de dissolution de l’Assemblée Nationale et de nouvelles élections ?
Le Conseil Constitutionnel s’est prononcé en ce qui concerne les mandats parlementaires en cours.
Mais en cas de nouvelles élections, si une peine d’inéligibilité provisoire a été prononcée par le Tribunal, nous considérons qu’elle doit s’appliquer, sous réserve qu’elle soit toujours en vigueur, et ce, tant qu’aucun jugement définitif n’est intervenu.
Si tel n’était pas le cas, c’est à dire si un recours déposé devant le Conseil Constitutionnel s’appliquait également aux nouvelles élections, alors ce serait la négation-même du principe de la peine provisoire d’inéligibilité, qui a pour but de renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants.
En d’autres termes, concernant Mme Le Pen, si le Tribunal suit les réquisitions du Procureur, elle pourrait mener son mandat de députée à son terme, mais ne devrait pas pouvoir, selon nous, se présenter à de nouvelles élections parlementaires ou à l’élection présidentielle, sauf si une décision définitive est intervenue entre temps.
L’élection présidentielle, c’est (en principe…) dans trois ans.
Quant aux prochaines élections législatives, difficile de faire des prévisions, par les temps qui courent…
Jugement le 31 mars prochain.