Ethicpol

Ethicpol a pour objet de préserver la démocratie en prévenant et combattant par tous moyens légaux la corruption dans les actes et les pratiques des élus et des agents publics.

Brèves d'info

LE COMPORTEMENT INQUALIFIABLE DE CERTAINES BANQUES

Le Crédit Agricole, via sa banque de financement et d’investissement CACIB (Crédit Agricole Corporate and Investment Bank) vient d’accepter de payer une amende de 88 millions d’euros pour l’abandon des poursuites dans l’affaire de fraude fiscale dite « Cum-cum », ou « Cum-ex », qui en est une variante.

La Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP), signée entre CACIB et le parquet national financier (PNF), et validée par le tribunal judiciaire, permet à la banque d’éviter un procès public.

Dans cette affaire, le Crédit Agricole n’est pas seul : BNP Paribas, sa filiale Exane, Société Générale, Natixis et HSBC France sont également visées par le PNF.

De quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’un montage financier mis au point par les banques, dont le seul but est d’éviter aux détenteurs étrangers d’actions françaises de payer l’impôt sur les dividendes.

Ce système coûte à l’Etat français plusieurs milliards d’euros par an.

A l’heure où on demande aux Français de faire des sacrifices, où on nous répète qu’il faut faire des économies dans tous les domaines, et en particulier dans ceux de la Santé et de l’Education, on ne peut qu’être révolté de constater que des banques françaises ont mis en place des dispositifs permettant à leurs clients étrangers d’échapper à l’impôt sur les dividendes.

En quoi consiste le montage ?

Pour faire simple, il y a deux sortes de dispositifs :

Le premier permet aux actionnaires étrangers de sociétés françaises de ne pas payer d’impôt sur les dividendes.

Prenons un exemple, très simplifié, pour comprendre de quoi il retourne.

Soit X un investisseur étranger qui détient des actions d’une entreprise française.

La loi française prévoit qu’avec ce pays, lors du paiement du dividende, l’Etat prélève à la source un impôt (15 à 30%). Cet impôt est du par le détenteur des actions au moment du paiement du dividende.

Que fait la banque française qui gère tout ou partie des avoirs de X ?

Elle sert d’intermédiaire pour transférer, quelques jours avant le détachement du dividende, les actions de X vers un investisseur situé au Qatar : X vend ses actions à l’investisseur qatari, pour les lui racheter quelques jours après.

Pourquoi au Qatar ?

Tout simplement parce qu’il existe entre la France et certains pays des conventions fiscales, aux termes desquelles les détenteurs d’actions françaises sont exonérés d’impôt sur les dividendes (le but est d’inciter les investisseurs étrangers à investir dans des entreprises françaises). C’est le cas du Qatar (mais aussi, entre autres, de Dubaï).

Et pourquoi vendre pour racheter quelques jours après ?

Parce qu’ayant acheté les actions, c’est l’investisseur qatari qui en est propriétaire au moment du paiement du dividende.

C’est donc lui qui le perçoit.

Et comme il est exonéré en vertu des conventions entre la France et le Qatar, il ne paie aucun impôt à l’Etat français.

Quelques jours après, les actions et les dividendes sont rachetés par X, à qui l’opération n’aura coûté que les commissions perçues par la banque française qui a servi d’intermédiaire et par l’investisseur qatari (qui, généralement, est aussi une banque).

Résultat : l’actionnaire étranger n’a payé aucun impôt sur les dividendes à l’Etat français, grâce au montage réalisé par une banque française.

Les banques poursuivies par le PNF se défendent en arguant que ces opérations ne sont pas illégales, ce à quoi le PNF rétorque, à juste titre, qu’étant mises au point dans le seul but de soustraire des revenus à l’impôt, elles constituent ce qu’on pourrait qualifier de complicité ou recel de fraude fiscale.

Ce système a coûté, sur les vingt dernières années trente-trois milliards d’euros au Budget de l’Etat français.

Trente-trois milliards ! En moyenne, un milliard et demi par an ! Alors qu’on entend tous les jours les appels aux efforts pour réduire la dette de la France !

Que des banques françaises aient mis en place ou aient participé à un tel système est inqualifiable.

Mais il y a pire, si l’on peut dire…

En effet, les banques ont également mis au point un système encore plus sophistiqué, qui aboutit à ce que l’Etat français rembourse à des investisseurs étrangers des impôts que ces derniers n’ont jamais payés.

Pour comprendre, il faut distinguer deux dates :

  • La date de détachement du dividende. Elle est très importante, car c’est la personne qui à cette date est propriétaire de l’action qui percevra le dividende
  • La date de paiement du dividende, qui est la date à laquelle le dividende est effectivement versé, déduction faite du prélèvement à la source, s’il y a lieu.

Il faut savoir également qu’avec certains pays, l’Etat français applique « par défaut » une retenue à la source, mais que les investisseurs étrangers peuvent, sous certaines conditions, en demander le remboursement si leur pays a signé avec la France une convention fiscale.

Avec les techniques de traitement haute fréquences des ventes et achats de titres à découvert[1], entre les dates de détachement et de paiement du dividende les actions peuvent changer plusieurs fois de propriétaire, à tel point qu’il devient impossible à l’administration fiscale de déterminer qui est le propriétaire, car chacun ne l’est que pendant un laps de temps extrêmement court.

De multiples « investisseurs » peuvent dès lors revendiquer indûment la propriété des titres, et demander le remboursement de la retenue à la source.

Ce qui constitue un véritable vol, dont les banques sont complices.

Ces dispositifs sont connus depuis longtemps : ces pratiques avaient été mises au grand jour en 2018 par Le Monde et un consortium international de journalistes, alors qu’Emmanuel Macron promettait la même année : « Nous serons intraitables en matière de fraude fiscale ».

C’est pourquoi on a du mal à accepter que cette véritable spoliation de l’Etat, c’est-à-dire de l’ensemble des contribuables, ait pu perdurer.

Il faut dire que les banques ont tout fait pour s’opposer à toute mise en cause de leur liberté d’action. Et il faut bien constater que le gouvernement les a soutenues, en cherchant à limiter la portée de la loi de finances 2025, via ses décrets d’application.

Mais les parlementaires ont tenu bon, et la loi de finances, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2026, met fin, en principe, à la fraude cum-cum.

Parallèlement, le PNF a engagé des procédures contre les banques qui se sont livré à ce genre de stratagème pour éviter à leurs clients étrangers de payer l’impôt sur les dividendes, voire d’encaisser des remboursements auxquels ils n’ont pas droit.

Car il s’agit là de bien plus grave que de simples manquements à l’éthique : il s’agit de délits pénaux.

Cette affaire montre à quel point les procédures destinées à frauder le fisc sont sophistiquées. Elle met également en lumière le comportement de certaines banques, pour lesquelles la recherche du profit prime sur les principes républicains.

Elle montre également que l’exécutif peut, via les décrets d’application d’une loi, la vider totalement ou partiellement de sa substance : c’est grave, car il s’agit là d’un mépris du Parlement et des électeurs qui l’ont élu.

D’où l’importance fondamentale du rôle des lanceurs d’alerte, qu’il s’agisse de journalistes, de parlementaires, ou de simples citoyens soucieux de l’intérêt général.

Au demeurant, on peut s’interroger sur le silence des collaborateurs des banques incriminées, qui ne pouvaient ignorer le caractère frauduleux de ces montages financiers.

Ce qui pose, encore une fois, la question de l’opportunité de pénaliser le non-recours à l’article 40 du Code de procédure pénale.

C’est une question complexe, sur laquelle nous reviendrons très prochainement.

https://www.actu-juridique.fr/fiscalite/fiscal-finances/fin-de-partie-pour-la-fraude-cumcum

https://www.senat.fr/salle-de-presse/communiques-de-presse/presse/30-11-2024/fraude-cumcum-le-senat-vote-pour-mettre-fin-a-la-pratique-frauduleuse-darbitrage-des-dividendes.html

https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/260625/fraude-fiscale-pour-choyer-les-banques-eric-lombard-s-assoit-sur-le-parlement

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/07/05/avant-les-legislatives-les-banques-a-l-offensive-aupres-de-bercy-pour-tenter-de-legaliser-le-cumcum_6247186_4355770.html?search-type=classic&ise_click_rank=7

https://www.liberation.fr/economie/lutte-contre-la-fraude-aux-cum-cum-les-coulisses-du-recul-de-bercy-face-aux-parlementaires-20250725_3XMJQEZZTFGEDBRE24L4LFUXPA

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-info-de-france-inter/une-premiere-banque-devant-la-justice-dans-l-affaire-des-cum-cum-8798499


ETHICPOL communique sur ses actions sur les réseaux sociaux et via son site internet.

Contacter ETHICPOL, Ensemble contre la corruption :

contact@ethicpol.com

Visiter le site de l’association :

www.ethicpol.fr

Adhérer ou faire un don :

https://www.helloasso.com/associations/ethicpol


[1] Vendre à découvert consiste à vendre des actions dont on n’est pas encore propriétaire, mais dont on sera propriétaire juste avant la vente.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *