NOUS SOMMES OPPOSES AU CUMUL DES MANDATS
La question du cumul des mandats est revenue sur le devant de la scène ces derniers temps, à rebours de toute l’évolution constatée depuis une dizaine d’années.
Actuellement, un maire ou un adjoint au maire ne peut pas être en même temps parlementaire : si un maire ou un adjoint est élu député ou sénateur, il doit démissionner de son mandat local, ou renoncer à son élection.
Dès lors, pourquoi un maire se présente-t-il à une élection législative ou sénatoriale, pour renoncer, aussitôt élu, à son mandat parlementaire (ou l’inverse).
Il s’agit là d’un calcul purement politique : cela lui permet de se désister pour laisser la place à son suppléant, ce qui permet au parti dont ils sont en général tous deux membres d’avoir un élu au parlement, tout en conservant une mairie.
Pour voir la totalité des incompatibilités, voir ici : https://www.elections.interieur.gouv.fr/comprendre-elections/pour-qui-je-vote/comment-cumul-des-mandats-est-il-limite
Aussi étrange que cela puisse paraître, la règle de non cumul ne s’applique pas aux ministres, qui peuvent cumuler leurs fonctions avec celles de maire (ou de maire d’arrondissement, maire délégué et adjoint au maire, président et vice-président d’un EPCI, président et vice-président de conseil départemental, président et vice-président de conseil régional). Pour la liste exhaustive, voir ici.
A croire que les ministres sont moins occupés que les parlementaires, et peuvent par exemple, comme François Bayrou, gérer « en même temps » leur portefeuille ministériel et leur commune.
Chacun se souvient du premier ministre, à peine nommé, et en pleine situation de catastrophe à Mayotte, empruntant le Falcon présidentiel pour aller présider le Conseil Municipal de Pau, ville dont il est toujours maire.
Pour ETHICPOL, cette situation est absurde, et produit des effets délétères dont il faut se préserver.
En premier lieu, on voit mal comment un maire, ou tout autre membre d’un exécutif local, peut à la fois s’occuper activement des affaires locales et siéger au Parlement, sauf à négliger l’une ou l’autre de ses fonctions, voire les deux.
A fortiori, comment comprendre qu’en matière de cumul des mandats, ce qui est interdit à un parlementaire soit permis à un ministre, et en particulier au premier d’entre eux ?
Il y a là une anomalie spécifiquement française, à laquelle il est grand temps de mettre fin.
L’argument de la nécessaire proximité des élus avec « le terrain », souvent invoqué pour justifier les demandes de retour au cumul, ne résiste pas à l’analyse : seules les fonctions exécutives sont concernées par la règle du non-cumul. Un député peut parfaitement rester (ou être élu) conseiller municipal, départemental, ou régional, et donc s’impliquer dans les affaires locales. Mais manifestement, pour les thuriféraires du retour au cumul, ce n’est pas suffisant, car ils considèrent que pour être vraiment impliqué dans la gestion des affaires locales, il faut faire partie de l’exécutif local. Ce qui voudrait implicitement dire qu’au niveau communal, si vous n’êtes pas maire ou adjoint, vous ne servez…à rien.
De là à penser que ce sont aussi (et même plutôt, diront certains) des considérations financières qui motivent les tenants du retour au cumul des mandats, il n’y a qu’un pas. Nous ne le franchirons pas : nous souhaitons rester sur le terrain de la disponibilité et de l’efficacité des élus. Et de ce point de vue, notre position est sans ambiguïté : nous restons fermement opposés au cumul pour les parlementaires, et, a fortiori, pour les ministres, et pour ces derniers, cela doit se traduire dans la loi.
Mais il y a un autre aspect que nous voudrions aborder, et qui est l’exact contre-pied de l’argument invoqué par François Bayrou.
Contrairement à ce qu’il soutient, nous sommes convaincus que le cumul des mandats, au lieu de favoriser ou maintenir l’ancrage local des élus, produit l’effet inverse. Il contribue à la formation d’une caste : celle des gens qui détiennent le pouvoir.
Car ce dernier est addictif : ceux qui le détiennent ont du mal à y renoncer, et s’efforcent, pratiquement toujours, de l’étendre.
Entendons-nous bien : il s’agit d’un constat, pas d’une critique stérile des gens de pouvoir.
Rien ne nous est plus étranger que le « tous pourris » que d’aucuns utilisent pour qualifier les hommes et les femmes politiques. Nous l’avons déjà dit : nous avons beaucoup de respect pour celles et ceux qui décident de mettre leur énergie et leur temps au service des autres.
Il n’empêche : il est très rare qu’un élu renonce volontairement à briguer un nouveau mandat à l’expiration du premier[1]. Il n’est que de voir combien de maires sont en place depuis plusieurs décennies, alors qu’un Président de la République ne peut pas exercer plus de deux mandats successifs.
Si l’on veut éviter que les élus « s’installent » dans leurs fonctions d’élus pour y rester, si l’on veut mettre un terme à cette professionnalisation de la vie politique et en renouveler le personnel, il faut limiter le nombre de mandats qu’un élu peut exercer dans le temps à deux, et prévoir des dispositifs efficaces de réintégration de la vie active pour les élus en fin de mandat.
Pourquoi deux mandats et pas un seul ?
Parce qu’il faut du temps pour mettre en œuvre une politique, surtout lorsque les élections amènent aux affaires une autre majorité que la précédente.
La plupart des mandats ont une durée de six ans. C’est court pour une nouvelle équipe qui arrive aux affaires : il faut mettre une nouvelle organisation en place, analyser l’existant, reprendre les projets en cours, en initier de nouveaux, dont certains nécessitent plusieurs années de mise en œuvre, etc.
C’est pourquoi deux mandats nous semblent nécessaires.
Mais alors, pourquoi ne pas aller au-delà de deux mandats ?
D’abord parce qu’il faut renouveler les équipes, et rajeunir ce qu’il est convenu d’appeler (et le terme est révélateur) la « classe politique ». Certes, la France n’est pas une gérontocratie, mais l’âge moyen des maires augmente : 55% des maires ont plus de 60 ans (voir : https://www.amf.asso.fr/documents-la-carte-didentite-maires-2020/40307)
Sans nier les apports de l’expérience, il est nécessaire que des équipes plus jeunes se retrouvent aux affaires.
Ensuite, parce qu’être élu n’est pas un métier, et qu’au-delà de deux mandats, le risque est grand de tomber dans une sorte de népotisme à l’opposé des principes démocratiques. Quand c’est d’abord la volonté de se maintenir en place qui guide l’action des élus, cela amène inéluctablement arrangements et compromissions.
En matière de limitation des mandats que peut simultanément exercer un parlementaire, la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 a permis des avancées notables. Les remettre en cause, c’est signer un véritable retour en arrière.
Quant au cumul indéfini des mandats dans le temps, il est plus que temps d’y mettre fin, car c’est cela même qui perpétue l’existence d’une véritable caste, emblématique d’une République en laquelle les français ne se reconnaissent plus.
L’argument selon lequel dans les petits villages, on trouverait difficilement un candidat pour remplacer un maire en fin de mandat ne tient pas. Lorsqu’un maire est en fin de mandat, rien n’empêche son équipe municipale de continuer à gérer la commune : il suffit d’élire un nouveau maire, rien n’interdisant à l’ancien de devenir ou redevenir conseiller municipal.
Cela dit, si l’on veut mettre fin à la professionnalisation de la vie politique, il faut faciliter le retour des anciens élus à la vie « normale ».
Comment faciliter la réintégration des anciens élus ?
S’investir dans la politique suppose de faire beaucoup de sacrifices, notamment sur le plan professionnel.
Si l’on veut éviter que seuls des candidats sans objectifs professionnels, c’est-à-dire principalement des retraités[2], se présentent aux élections, la République doit renforcer le dispositif d’accompagnement existant pour les élus qui retournent à la vie professionnelle, que ce soit après un ou deux mandats.
Les élus locaux exerçant des fonctions exécutives (maires, les adjoints, présidents et vice -présidents de communautés, présidents et vice-présidents des conseils départementaux et régionaux) bénéficient d’un droit à réintégration à l’issue du mandat, qu’ils soient fonctionnaires ou salariés du privé.
Les fonctionnaires peuvent demander leur mise en disponibilité pendant la durée de leur(s) mandat(s).
Quant aux salariés du privé, leur contrat de travail est suspendu pour la durée de leur(s) mandat(s), et non résilié.
Il faut savoir que ce droit à réintégration ne peut plus être exercé au-delà de deux mandats successifs, d’où l’intérêt de les limiter strictement à deux.
Les élus locaux peuvent également, sous certaines conditions, percevoir une allocation différentielle de fin de mandat, qui représente 80% de l’écart entre l’indemnité parlementaire qu’ils percevaient et le revenu qu’il perçoivent désormais. Après 6 mois, cette indemnité passe à 40%, et est supprimée au bout d’un an.
Pour les députés, il existe déjà une « allocation d’aide de retour à l’emploi » qui s’élève à 57% de l’indemnité parlementaire, soit 57% x 7 637 = 4 353 euros, pendant 6 mois, et qui diminue ensuite, en fonction de l’âge de l’élu concerné.
Cette allocation est versée sous conditions, et concerne les parlementaires n’ayant pas retrouvé d’emploi à l’issue de leur mandat.
Concernant les députés européens, ils continuent à percevoir en fin de mandat leur indemnité mensuelle, pendant un nombre de mois correspondant au nombre d’années de mandat. Cette indemnité est versée aux députés n’ayant pas retrouvé d’emploi à l’issue de leur mandat, qui peuvent également bénéficier de formations et d’un accompagnement à la reconversion professionnelle.
Comme on le voit, les élus sont loin d’être totalement démunis à l’issue de leur(s) mandat(s).
Les dispositifs d’accompagnement au retour à la vie normale les protègent pendant une durée de deux mandats successifs.
Il serait dès lors parfaitement logique que tout élu retourne à la vie normale après deux mandats successifs, en bénéficiant du droit à réintégration et des indemnités de fin de mandat prévues par la loi.
Rien n’empêche de réfléchir à des pistes pour compléter ces dispositifs, par exemple :
- La possibilité pour les anciens élus de se présenter à certains concours de la fonction publique via un dispositif dérogatoire si l’élu ne dispose pas des diplômes nécessaires.
- La mise en place d’un système obligeant les entreprises et les administrations à employer un certain nombre d’anciens élus, comme cela se fait déjà pour certaines catégories de populations.
Ce ne sont là que des pistes. L’idée est de faciliter au maximum la reconversion, sans instaurer de rente de situation découlant du statut d’ancien élu. C’est la raison pour laquelle cette réflexion doit être la plus large possible, et ne saurait être confiée aux seuls élus.
Pour ETHICPOL, elle est indispensable : il faut absolument mettre fin aux dérives, et restaurer le lien entre les élus et le peuple qui leur a confié, temporairement, le pouvoir.
Pour en savoir plus sur le statut des élus locaux : https://www.amf.asso.fr/documents-statut-lelue-locale-mise-jour-janvier-2025/7828
Pour connaître le montant des indemnités perçues par les élus : https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/FPT/4.%20r%C3%A9mun%C3%A9rations%20et%20gestion%20de%20la%20paie/Montants%20plafonds%20indemnit%C3%A9s%20%C3%A9lus%20locaux%20Autom%200723-1-2.pdf
[1] Certes, c’est ce qu’a fait, par exemple, François Hollande : mais il ne s’est pas représenté parce qu’il était convaincu qu’il serait battu, et non pour céder volontairement la place.
[2] Ou des fonctionnaires, qui peuvent se mettre en disponibilité pendant toute la durée de leur mandat