Plus de 50 % des communes sont déficitaires en logements sociaux (loi SRU)
La loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) a été adoptée en 2000.
L’article 55 de cette loi impose à la plupart [1] des communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Île-de-France) un quota de 25 % de logements sociaux (20% dans les zones moins tendues).
L’idée est à la fois de lutter contre la pénurie de logements sociaux et de favoriser la mixité sociale.
Pour l’année 2023, 2 157 communes sont concernées par la loi SRU, parmi lesquelles :
- 152 sont exemptées de l’application de la loi SRU pour la période 2023-2025 (inconstructibilité, faible attractivité, faible demande de logements sociaux)
- 846 atteignent ou dépassent leurs taux cibles de logements sociaux.
- 1 159 sont déficitaires.
Plus de la moitié des communes ne respectent donc pas leurs obligations en matière de logements sociaux. Pourquoi ?
Tout simplement parce que les habitants, et le maire qu’ils ont élu, ne veulent pas de logements sociaux sur leur commune.
Certains édiles invoquent des difficultés matérielles, comme l’absence de terrains constructibles, ou leur coût, ou le manque de desserte en eau, ou encore l’impossibilité de construire pour cause de zones inondables, ou l’opposition des riverains, etc.
D’autres n’hésitent pas à exprimer publiquement et explicitement leur refus d’appliquer la loi, comme le maire de Rognac, Christophe Gonzalez : « Ma position est claire, je m’opposerai toujours à la construction de logements sociaux sur la commune. C’est un choix politique.«
Pour ces communes, la loi prévoit une pénalité, sous forme de prélèvement proportionnel à leur potentiel fiscal et au déficit en logements sociaux.
Nous nous sommes livrés à un petit calcul, qui consiste à rapporter la pénalité au nombre d’habitants et au nombre de ménages vivant dans la commune, ce dernier résultat étant plus significatif.
Dans les Bouches du Rhône, pour les dix communes les plus sanctionnées, voici les résultats, calculés à partir des derniers chiffres connus :

Ce tableau montre que les habitants de Gémenos paient 351 euros par ménage et par an pour ne pas respecter le quota de logements sociaux. A Carry le Rouet, c’est 236 euros, et ainsi de suite.
A noter que pour les communes carencées en logements sociaux, le préfet peut appliquer un prélèvement augmenté de 400 %, c’est-à-dire multiplié par cinq, par rapport au prélèvement « standard ».
Dans les Bouches du Rhône, c’est Carry le Rouet qui détient la palme de la carence : seulement 1,5% de logements sociaux, suivie de Peynier et Mimet, commune dont il faut rappeler que le maire est Président de l’Union de maires des Bouches du Rhône.
Que faut-il retenir de tout ça ?
- D’abord, bien sûr, le refus de nombreuses communes de se doter de logements sociaux. Ce refus est dû à une perception de ces logements, (ou plutôt de leurs occupants) qui ne correspond pas à la réalité. Ces logements sont attribués en majorité à des personnes qui travaillent (56 % des attributions entre 2016 et 2019) et de moins de 40 ans (56 % en 2022).
D’autre part, l’idée selon laquelle les occupants y resteraient toute leur vie est fausse : un ménage sur deux en moyenne a quitté son logement après cinq ans et seul un tiers des logements est encore occupé après dix ans par les mêmes locataires.
Enfin, assimiler logements sociaux et barres d’immeubles relève d’une vision du passé. Les chiffres sont les suivants :
- maisons individuelles : 15 %
- immeubles de maximum trois étages : 34 %
- bâtiments entre cinq et neuf étages : 42 %
- immeubles d’au moins 10 étages : 8 %
et il s’agit là du parc existant.
- ensuite, il se vérifie, là encore, que lorsqu’on veut qu’une loi soit efficace, il faut que les sanctions en cas de non-observation de la dite loi soient adaptées aux enjeux.
Si l’on regarde le tableau ci-dessus, on voit qu’à Gémenos, la pénalité par ménage s’élève à 351 euros par an.
Les communes riches peuvent se permettre sans problème de payer ces pénalités, et cultiver une espèce d’entre-soi immobilier auquel les autorise leur relative aisance, alors qu’il y a un déséquilibre patent, un gouffre pourrait-on dire, entre l’offre et la demande de logements sociaux.
Le résultat est que l’objectif de mixité sociale qui était celui de la loi SRU est totalement ignoré, et c’est même l’inverse qui se produit : les « riches » restent entre « riches », et les pauvres restent entre pauvres.
Il faut en effet savoir où vont les sommes provenant des pénalités.
Elles servent au financement de logements sociaux, mais…ailleurs. En effet, elles sont affectées :
- aux EPCI délégataires des aides à la pierre
- aux établissements publics fonciers (EPF)
- au Fonds national des aides à la pierre (FNAP)
Ce qui veut dire que les communes riches, en payant des pénalités, s’exonèrent des obligations de la loi SRU, et financent la construction de logements sociaux le plus souvent là où il y en a déjà, c’est-à-dire dans les communes ou les quartiers pauvres.
Dans certaines communes, où le parc de logements sociaux est quasi inexistant, le rattrapage est extrêmement difficile, sinon impossible. C’est une des raisons pour lesquelles leurs élus demandent que la loi s’applique aux flux, et non aux stocks. En d’autres termes, que l’obligation de 25% de logements sociaux s’applique uniquement aux nouveaux projets immobiliers, et non à l’ensemble du parc existant.
On peut entendre cet argument, tout en tenant compte du fait que :
- les communes qui sont particulièrement carencées le sont parce qu’elles n’ont quasiment rien fait jusqu’ici.
- adopter ce raisonnement revient à s’approcher tendanciellement de l’objectif de 25% de logements sociaux sans jamais l’atteindre.
Mais, comme nous l’avons dit, on peut entendre cette demande, surtout lorsqu’une nouvelle équipe arrive aux commandes.
Une autre manière d’assouplir la loi, demandée par les élus, consiste à intégrer une part de logements intermédiaires dans le calcul.
Un projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables prévoit que les communes qui n’ont pas atteint leur objectif de 25% de logements sociaux (20% selon les cas) pourront en rattraper une partie en produisant du logement intermédiaire destiné aux classes moyennes.
Pour cela, il faut qu’elles aient atteint au moins 15% (10% selon les cas) de logements sociaux, auquel cas la part de logements intermédiaires peut atteindre 25% de leur objectif de rattrapage triennal.
Par exemple, une commune dont l’objectif de logements sociaux est de 400 logements, qui en a réalisé au moins 15%, soit 60, peut signer avec l’Etat un CMS (Contrat de Mixité Sociale). Il lui en reste 340 à réaliser. Sur ces 340, 25%, soit 85, peuvent être des logements intermédiaires.
Enfin, il faut noter que ce projet de loi prévoit d’accorder également aux maires le pouvoir d’attribuer des logements sociaux neufs (sauf dans les communes carencées). Les maires présideront les commissions d’attribution de logements et d’examen de l’occupation des logements (Caleol), et ce sont eux qui proposeront pour chaque logement social neuf l’ordre de classement des candidats présentés par les réservataires ou l’organisme de logement social. Ils pourront, en le motivant, s’opposer au choix d’un candidat proposé. En outre, les préfets pourront déléguer aux maires leur contingent de réservation (pour les personnes prioritaires, notamment mal logées ou défavorisées).
Si ce projet de loi aboutit, on voit donc que la loi SRU aura subi des aménagements de grande ampleur, destinés à répondre aux réticences des maires à l’appliquer.
Disons-le tout net : nous ne partageons pas ces réticences.
Que beaucoup de maires les expriment et fassent pression pour alléger les obligations que leur impose la loi SRU, c’est, dirons-nous, dans l’ordre des choses.
En revanche, le refus catégorique, assumé publiquement, de construire un seul logement social, comme s’y autorisent certains maires, est inacceptable, car il bafoue délibérément la loi, et repousse les bénéficiaires de logements sociaux au-delà des limites de la commune.
Ce faisant, il fait des demandeurs de logements sociaux des citoyens de seconde zone, au sens propre.
Les sanctions pécuniaires ne sont manifestement pas efficaces, et sont supportées par l’ensemble des habitants, alors que la décision relève du maire.
En tant que premier magistrat de la commune, un maire est chargé d’appliquer la loi. Il peut ne pas être d’accord avec son contenu : il lui appartient alors d’agir pour la faire changer. Mais il ne peut pas se mettre hors la loi en décidant délibérément de ne pas l’appliquer.
Si l’on veut vraiment que la loi soit appliquée, il faut faire de son inobservation délibérée un délit pénal passible de peines d’inéligibilité pour le maire, car c’est bien lui qui décide en dernier ressort de faire payer des pénalités à sa commune plutôt que de remplir les obligations qui sont les siennes.
En matière de logements sociaux, la démocratie ne peut pas accepter que l’argent permette de s’exonérer des obligations légales.
Ce n’est pas en maintenant des zones réservées d’une part et des quasi-ghettos d’autre part qu’on arrivera à (re)faire société.
https://www.lamarseillaise.fr/societe/carence-en-logements-sociaux-des-amendes-records-HB17706199
https://www.insee.fr/fr/statistiques/1405599?geo=COM-13002
[1] Ce sont celles qui appartiennent à des agglomérations ou des intercommunalités de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants