MIS EN EXAMEN, DONC PRÉSUMÉ INNOCENT…
Mis en examen pour viols, violences aggravées et enregistrement d’images à caractère sexuel sans consentement, Nicolas Bazzucchi a présidé lundi le Conseil Municipal de La Penne-sur-Huveaune, commune dont il est maire sans étiquette.
Placé en détention provisoire pendant deux mois, il a été libéré mi-février et placé sous contrôle judiciaire. Il lui est interdit de paraître physiquement à la Penne sur Huveaune, mais il peut continuer à gérer la ville à distance, et il a eu l’autorisation exceptionnelle de la justice pour présider en présentiel la séance de lundi soir.
Rappelons que la mise en examen est prononcée par un juge d’instruction qui estime qu’il existe des indices graves ou concordants de commission d’une infraction pénale contre le mis en cause.
Comme tout prévenu, Nicolas Bazzuchi bénéficie, bien sûr, de la présomption d’innocence.
Mais le juge d’instruction peut lui imposer des mesures restrictives de liberté : après deux mois en détention provisoire, son contrôle judiciaire lui interdit désormais de se déplacer comme il le voudrait.
L’idée est d’éviter les risques de pression et de répétition des infractions, sachant que Nicolas Bazzuchi aurait reconnu des crachats et des insultes et entamé une thérapie pour soigner « des comportements excessifs« , sachant également que de nombreux membres du personnel de mairie doivent encore être entendus.
Le juge d’instruction a donc pris les mesures visant à empêcher le prévenu de rencontrer ses victimes présumées ou de faire pression physiquement sur elles. Et il a pris également des dispositions pour qu’il puisse continuer à exercer son mandat de maire, à distance (sa présence au Conseil Municipal de lundi étant une exception, dûment autorisée).
Il a donc agi comme il l’aurait fait avec n’importe quel prévenu : protéger les victimes présumées, préserver le bon déroulement de l’enquête, et ne pas empêcher le prévenu, qui bénéficie de la présomption d’innocence, d’exercer son activité.
Mais un maire en exercice n’est pas n’importe quel individu. C’est un élu, qui dispose de la légitimité que lui confère le suffrage universel.
Dès lors qu’il est mis en examen, faut-il aller plus loin que les mesures restrictives de liberté telles que celles prises à l’encontre de Nicolas Bazzuchi, et suspendre son ou ses mandats dès sa mise en examen ?
La question mérite d’être posée.
Rappelons-nous qu’en ce qui concerne l’exécutif national, la pratique mise en place sous Lionel Jospin, confirmée par Edouard Balladur, avait érigé en principe qu’un ministre mis en examen devait démissionner. Pendant une vingtaine d’années, on a même parlé de « jurisprudence Balladur », tant cette pratique était considérée comme acquise, car allant de soi.
Elle a depuis été remise en cause, notamment sous le gouvernement Fillon et ceux qui l’ont suivi. Et ce qui était considéré comme allant de soi est devenu une atteinte à la présomption d’innocence.
Mais un ministre n’est pas élu : il est nommé. Il n’a pas passé un contrat de confiance avec les électeurs, mais avec celui ou celle qui l’a nommé.
On peut donc admettre que lorsqu’un ministre est mis en examen, il est de la responsabilité de celui qui l’a nommé d’en tirer ou non les conséquences, c’est-à-dire de lui retirer ou de lui conserver sa confiance.
En revanche, un élu local trouve sa légitimité démocratique dans le contrat de confiance qu’il a passé avec les électeurs, alors que sa mise en examen est prononcée par un juge d’instruction, qui, lui, n’est pas élu, mais nommé par décret du Président de la République.
C’est la raison pour laquelle on entend périodiquement certaines voix s’élever contre la « république des juges », pour protester contre des mises en examen de personnalités politiques jugées abusives ou arbitraires.
Or, outre le fait que le statut des juges d’instruction garantit leur indépendance, il faut rappeler qu’il existe des voies de recours contre les décisions de mise en examen qu’ils peuvent prendre.
Ce contrôle est exercé devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel, qui est une instance collégiale.
En tout état de cause, le sujet, ici, n’est pas celui de la mise en examen : c’est celui, pour un élu, de la suspension de son mandat jusqu’au jugement.
Faudrait-il que cette suspension soit automatique ? Pourrait-elle être prononcée par le juge, en fonction des circonstances ? Ou, à l’inverse, faut-il ériger la présomption d’innocence en principe absolu, et donc, laisser tout élu mis en examen continuer à exercer son ou ses mandats ?
Les tenants de la suspension des mandats considèrent comme inconcevable qu’un maire mis en examen, c’est-à-direcontre lequel il existe des indices graves ou concordants de commission d’une ou plusieurs infractions pénales, puisse continuer de gérer sa commune, et prendre des décisions qui affectent directement ses administrés, et parmi eux, potentiellement, ceux qui ont révélé ou pu révéler ses agissements.
D’autant que retirer provisoirement à un maire son mandat jusqu’à ce que la justice se soit définitivement prononcée, ce n’est pas le condamner : c’est faire en sorte que la commune soit gérée avec la sérénité qui sied aux débats municipaux, et que la confiance publique soit préservée. Cela paraît difficile lorsque les soupçons qui pèsent sur le maire sont assez graves pour que la justice ait décidé de le mettre en examen, et, s’agissant de la Penne sur Huveaune, près de la moitié du Conseil Municipal ait démissionné pour protester contre le maintien de l’édile à la tête de la commune.
Que penser de tout cela ?
Lorsqu’une personne, élue ou non, est mise en examen, elle n’est déjà plus un citoyen ordinaire, puisque le juge d’instruction peut restreindre sa liberté d’aller et venir. Ce pouvoir lui est donné par la loi, pour garantir le bon déroulement de la procédure et/ou protéger les victimes présentes ou à venir, et le prévenu lui-même. Même si on peut éventuellement discuter de l’étendue des restrictions que le juge peut imposer à ce dernier, il nous semble légitime que de telles dispositions soient prévues par la loi, et s’appliquent indistinctement à tous les prévenus.
Insistons sur le fait que ces mesures ne mettent pas en cause la présomption d’innocence : ce sont des mesures de précaution, prises par le juge, qui considère qu’il y aurait un risque à ne pas les prendre, quel que soit le statut du prévenu.
Toutefois, si ce dernier est un élu, se pose la question de la suspension de ses mandats électifs, car, comme nous l’avons dit, un élu n’est pas un citoyen ordinaire.
Dès lors, on peut légitimement se poser la question de savoir si le devoir d’exemplarité exigé des élus doit conduire le législateur à prévoir la suspension immédiate et automatique des mandats de l’élu concerné.
En positif, une telle mesure aurait, par son automaticité, l’avantage de placer tous les élus mis en examen sur le même plan, quelle que soit leur appartenance politique.
Pour autant, les juges ne se verraient pas exonérés de l’accusation de chevauchement des pouvoirs, car dans ce cas, c’est en amont, c’est-à-dire au moment de la mise en examen, que leurs décisions seraient contestées.
Or, dès lors qu’il existe des indices graves ou concordants de commission d’une infraction pénale, il faut préserver le pouvoir des juges de mettre en examen le mis en cause, élu ou pas, et rappeler qu’il existe des voies de recours contre les mises en examen jugées abusives.
Mais il faut dissocier mise en examen et suspension des mandats électifs. Alors que la mise en examen n’est pas une sanction, le retrait des mandats en serait une : ce serait en quelque sorte une punition ex ante.
Notre position sur cette question est la suivante :
1/ Lorsqu’il existe des indices graves ou concordants selon lesquels l’élu mis en cause a commis des infractions pénales avérées en matière de gestion de l’entité qu’il dirige ou dans laquelle il siège, il est légitime de faire en sorte que la possibilité d’en commettre d’autres lui soit ôtée, afin de préserver les intérêts des administrés.
Dans ce cas, notre position est que sa mise en examen soit assortie par la loi de la suspension automatique de ses mandats dès lors que les délais de recours contre la décision de mise en examen sont épuisés, ou que les recours ont été rejetés.
2/ Lorsqu’il s’agit d’infractions pénales réputées sans rapport avec la gestion d’une collectivité territoriale, comme dans le cas de Nicolas Bazzuchi, il apparaît que la suspension des mandats représenterait non pas une précaution, mais une sanction a priori sans lien direct avec l’infraction constatée.
Dans ce cas, cette suspension ne peut pas être automatique. Elle peut être prononcée par le juge d’instruction, mais elle doit être validée, sans voie de recours, par une instance détentrice de la légitimité démocratique qui lui a été conférée par l’élection, par exemple une commission ad hoc de l’Assemblée Nationale.
Cela ne préjuge évidemment en rien des décisions que prendra le tribunal, et n’altère donc en rien la présomption d’innocence, à laquelle nous restons indéfectiblement attachés.