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Brèves d'info

Pour une véritable réforme de la protection fonctionnelle des élus

Une affaire récente illustre la nécessité de réformer profondément le régime de la protection fonctionnelle des élus.

Éric Carnat, maire de la commune de Saint-Aignan (Loir-et-Cher) est mis en examen pour viol et agression sexuelle après les plaintes de deux agentes. Il bénéficie depuis mars 2023 de la prise en charge de sa défense dans le cadre de la protection fonctionnelle, bénéfice qui a été refusé aux deux plaignantes.

Pour comprendre le mécanisme de la protection fonctionnelle, il faut distinguer les cas dans lesquels l’élu subit des atteintes à sa personne ou à ses biens (où il est donc victime) de ceux dans lesquels il est poursuivi pénalement pour des infractions qu’il aurait commises (où c’est donc lui qui est mis en cause)

© Photo archives NR (https://www.lanouvellerepublique.fr/)
  1. Les atteintes à la personne ou aux biens d’un élu local

La loi du 21 mars 2024 a renforcé la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, en alourdissant les sanctions en cas d’atteinte à leur personne ou à leurs biens, de harcèlement, d’injure, d’outrage ou de diffamation publique.

Cette loi prévoit le bénéfice automatique de la protection fonctionnelle aux élus membres des exécutifs locaux victimes d’atteintes à leur personne ou à leurs biens. (Il faut la demander, mais sa délivrance est automatique, après un délai de 5 jours francs après information du préfet et du Conseil Municipal)

Une proposition de loi n° 2313 prévoit d’étendre cette protection à tous les élus locaux.

Cette proposition, votée par le Sénat, est en instance, suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale.

Nous ne pouvons que souscrire à cette extension : même si en matière d’atteintes à la personne ou aux biens, les élus membres des exécutifs locaux sont les plus exposés, les cas de harcèlement ou de menaces envers des élus d’opposition ne sont pas rares, et sont tout aussi inadmissibles : ces élus méritent le même respect et les mêmes protections que ceux de la majorité.

Notre position est que, pour les atteintes à leur personne ou à leurs biens liées à l’exercice de leur mandat, la protection fonctionnelle soit accordée automatiquement à tous les élus locaux, de la majorité ou de la minorité.

  • Le cas des élus mis en cause par un autre élu

C’est un cas qui se présente assez souvent.

Les décisions du maire et de son équipe sont fréquemment combattues par la minorité au Conseil Municipal. Cette opposition se traduit par un vote « contre », ce qui constitue le fonctionnement normal de la démocratie locale.

Mais il arrive également que lors des débats, les esprits s’échauffent, et que des insultes ou des outrages soient échangés, dans un sens comme dans l’autre.

Le maire, fort de la protection fonctionnelle dont il se sait désormais automatiquement bénéficiaire, ne se prive pas dans certains cas d’engager une procédure à l’encontre d’un opposant pour injure ou diffamation (ou de le menacer de le poursuivre).

Dans la situation actuelle, ce dernier, n’étant pas membre de l’exécutif local, ne bénéficie pas de l’automaticité de la protection fonctionnelle.

Et bien évidemment, le Conseil Municipal, soutien du maire, la lui refusera.

Il y a là un déséquilibre entre le maire, dont les frais de justice sont supportés par la commune, et l’opposant, qui doit prendre les siens en charge, ce qui peut dissuader certains de se lancer dans une procédure qui peut être coûteuse, et au résultat incertain.

Ces procédures bâillon ne sont pas rares. Elles altèrent grandement le fonctionnement de la démocratie.

Nous proposons qu’en cas de procédure entre deux élus de la même assemblée, dès lors que la protection fonctionnelle est accordée à l’un, elle soit automatiquement accordée à l’autre.

  1. Les élus poursuivis pénalement

Pour ce qui concerne les élus faisant l’objet de poursuites pénales, (pour détournement de fonds publics, favoritisme, prise illégale d’intérêt, etc.), la procédure est différente : c’est le Conseil Municipal qui décide d’accorder ou non la protection fonctionnelle à l’élu poursuivi.

Et c’est là que le bât blesse : la majorité des Conseils Municipaux étant entièrement dévoués au maire, ils lui accordent la protection fonctionnelle systématiquement.

C’est ce qui s’est passé pour Éric Carnat.

Or, rappelons que pour bénéficier de la Protection Fonctionnelle, l’élu ne doit pas avoir commis de faute détachable de l’exercice de ses fonctions.

Eric Carnat est mis en examen pour viol et agression sexuelle. Ce qui signifie qu’il existe des indices graves ou concordants que cette personne a commis les infractions (en l’occurrence, il s’agit même de crimes) pour lesquelles elle est poursuivie.

Certes, Eric Carnat bénéficie, comme tout justiciable, de la présomption d’innocence. Mais ce n’est pas le maire de Saint Aignan qui est poursuivi pour viol : c’est monsieur Eric Carnat.

Les actes qui lui sont reprochés, s’ils ont été commis, ne l’ont pas été dans l’exercice de ses attributions de maire.

Ils constitueraient, s’ils sont avérés, une faute entièrement détachable de l’exercice de ses fonctions, et par conséquent, la collectivité ne saurait prendre en charge ses frais de justice.

C’est pourquoi il nous apparaît totalement anormal que la protection fonctionnelle ait pu être accordée à Eric CARNAT par le Conseil Municipal.

On pourra objecter que les accusations formulées contre un maire peuvent s’avérer infondées, et avoir été portées uniquement pour lui nuire électoralement.

Une telle hypothèse ne peut pas être exclue. Mais c’est une hypothèse. On ne peut pas laisser au Conseil Municipal le soin de décider a priori si les poursuites contre le maire sont fondées ou pas : il n’en a pas la compétence, et le système actuel aboutit à des votes systématiques des élus majoritaires en faveur de l’octroi de la protection fonctionnelle au maire, pour deux raisons :

1. La première est qu’ils ne veulent pas priver le maire d’une protection à laquelle il pourrait avoir droit : dans le doute, si doute il y a, mieux vaut donc voter « pour », et laisser le soin au Préfet d’annuler cette décision, dans l’hypothèse où elle s’avèrerait illégale.

2. La deuxième raison est que les conseillers municipaux de la majorité doivent en général leur statut au maire, avec qui il ont fait campagne. Le fait que ce dernier se déporte lors du vote de la protection fonctionnelle en sa faveur ne doit pas faire illusion : il y a une solidarité entre élus du même bord, tout vote « contre » apparaissant comme une trahison.

Certes, on peut objecter que le Préfet, lors du contrôle de légalité, vérifiera que le vote du Conseil Municipal est ou non conforme à la loi.

A quoi on peut répondre qu’un vote dont on connaît systématiquement le résultat à l’avance ne sert strictement à rien, surtout quand les votants n’ont pas la compétence nécessaire pour apprécier le bien-fondé de leur vote, et que ce dernier est susceptible d’être biaisé par les relations qu’ils entretiennent avec la personne qui est la première concernée par ce vote.

Nous proposons que lorsqu’un élu est mis en cause pour des délits pénaux, la décision de lui accorder ou non la protection fonctionnelle soit prise par une entité autre que le Conseil Municipal, qui peut être le Tribunal Administratif.

  1. L’attribution automatique de la protection fonctionnelle au maire en début de mandat

Il est très fréquent que le maire demande, en début de mandat, le bénéfice de la Protection Fonctionnelle au Conseil Municipal.

S’agissant d’atteintes à sa personne ou à ses biens, la protection est désormais automatique, et une telle demande n’a plus de justification.

En revanche, s’agissant de poursuites contre le maire, ce « droit automatique » doit être considéré comme nul et non avenu, pour les raisons exposées supra : considérer que, « par définition », les faits reprochés à un élu ne constituent pas une faute détachable de ses fonctions revient à donner au maire l’illusion de croire que quoi qu’il fasse, il est en quelque sorte « protégé » par le dispositif dont il bénéficie dès sa prise de fonction.

La proposition faite plus haut de retirer au Conseil Municipal le pouvoir d’accorder la protection fonctionnelle au maire poursuivi pénalement pour la confier à une autorité extérieure permettrait d’éviter les comportements autocratiques des maires de certaines communes.

En attendant qu’une telle proposition soit adoptée, il serait beaucoup plus sain de décider qu’en début de mandat, toute délibération du Conseil Municipal attribuant automatiquement le bénéfice de la Protection Fonctionnelle au maire en toutes circonstances, est nulle et non avenue.

Nous sommes intimement convaincus qu’il faut protéger les élus (et pas seulement ceux exerçant des fonctions exécutives, mais tous les élus) contre les atteintes à leur personne ou à leurs biens dans l’exercice de leur mandat.

Nous n’en sommes pas moins totalement opposés à ce qu’il revienne à une assemblée dont un élu poursuivi pénalement est membre de décider s’il y a lieu ou non de faire prendre en charge ses frais de justice par la collectivité.

Ce raisonnement vaut que l’élu concerné appartienne à la majorité ou à l’opposition.

Nos propositions ont pour but de mieux protéger les élus dans l’exercice de leurs missions, mais aussi de fixer des règles du jeu démocratique saines, en instaurant un équilibre entre majorité et minorité au sein des assembles délibérantes.

Pour ne pas alourdir le propos, nous avons pris exemple sur les Conseils Municipaux, mais le raisonnement s’applique à toutes les assemblées territoriales : communes, départements, régions, intercommunalités.

https://www.lanouvellerepublique.fr/loir-et-cher/commune/saint-aignan/le-maire-de-saint-aignan-peut-il-faire-payer-ses-frais-d-avocat-par-la-collectivite-1749058106

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