Un excès de pouvoir à Rognac ?
On lit des choses intéressantes dans Marsactu (édition du 21 avril 2023).
Par exemple qu’un (en l’occurrence une) maire peut exclure de la fonction publique deux agentes titulaires, ce qui revient à les priver de rémunération, mais également de droit au chômage, et cela pour deux ans !
De quoi s’agit-il ?
La maire de Rognac (Bouches du Rhône) reproche à ces deux agents – sans aucune preuve – d’avoir “participé à l’élaboration d’une pétition publique en ligne sur Facebook critiquant l’action de la maire de Rognac concernant la médiathèque municipale, en sachant pertinemment qu’elle allait être publiée sur un réseau social à large audience” et d’avoir “exprimé de manière publique [leur] mécontentement auprès des usagers au sein de la médiathèque de Rognac.”
Ce qui est particulièrement choquant dans cette affaire, c’est que la municipalité s’assoit littéralement sur l’avis du conseil de discipline du centre de gestion, organe paritaire présidé par un juge administratif, qui a auditionné les deux « accusées ». Audition à l’issue de laquelle il a demandé à la Ville, à l’unanimité, de réintégrer les deux bibliothécaires sans sanction, les faits reprochés aux fonctionnaires n’étant ni matérialisés, ni prouvés.
Non contente d’ignorer superbement l’avis du conseil de discipline, la maire a décidé, au contraire, d’infliger aux deux agentes une sanction inédite : deux ans sans rémunération, et sans droit au chômage.
Certes, l’affaire n’est pas terminée : elle est devant le Tribunal Administratif. Mais elle (re)pose la question du pouvoir des maires.
Car nous pourrions bien être ici devant un véritable excès de pouvoir :
1/ A la lecture de la pétition incriminée, il est en effet impossible de prouver que les deux agentes sanctionnées aient pu participer à sa rédaction. C’est bien ce qu’a affirmé le Conseil de discipline.
On est donc en présence d’une décision aux très graves conséquences prise de manière unilatérale.
2/ En soutenant que les deux agentes auraient « exprimé de manière publique [leur] mécontentement auprès des usagers au sein de la médiathèque de Rognac », la mairie leur reproche d’avoir failli au devoir de réserve auquel sont tenu(e)s les fonctionnaires. Mais respecter le devoir de réserve ne signifie pas, pour les fonctionnaires, qu’ils doivent s’interdire de répondre aux questions posées par les usagers sur les conditions dans lesquelles on leur demande de remplir leur mission. Plus encore, les fonctionnaires ont « le devoir de satisfaire aux demandes d’information du public » inscrit dans leur statut même (article 27 de la loi du 13 juillet 1983). Cette disposition leur est rappelée dans toutes les formations obligatoires.
Qui n’a jamais entendu un ou une enseignante, un médecin urgentiste, un ou une infirmière, etc. se plaindre du manque de moyens auprès de leurs élèves ou patients qui les interrogent à ce sujet ?
3/ Quand bien même les « accusées » auraient violé leur supposé devoir de réserve (ce qui reste à prouver) la sanction est totalement disproportionnée, ce qui interroge sur les véritables motivations de la maire, et sur le pouvoir qu’elle se croit fondée à exercer.
A ETHICPOL, nous sommes convaincus de la nécessité de faire évoluer la manière dont sont conduites les affaires au sein de chaque commune, en s’appuyant sur les expériences menées dans certaines d’entre elles.
Pour cela, il nous semble qu’il faut, avant tout, (ré)introduire de la collégialité dans la prise de décision, redonner ses lettres de noblesse au débat contradictoire, seul moyen de lutter contre les tendances autocrates de certains.
Pour autant, nous n’oublions pas que la grande majorité des maires exercent leurs fonctions avec dévouement, honnêteté, respect des administrés et des agents. Et nous n’ignorons pas les difficultés que certains rencontrent pour exercer sereinement leur mandat. Nous y reviendrons.
Mais cela ne nous empêchera pas, chaque fois que ce sera nécessaire, de nous élever contre les pratiques d’un autre âge de certain(e)s élu(e)s.
Je vous invite à lire la pétition. C’est ici :
https://www.petitionenligne.fr/une_vraie_mediatheque_pour_les_rognacais
Et pour l’article de Marsactu, c’est là :
La Provence de ce jour publie également un très intéressant article sur cette affaire :
André Barelier
Responsable du pôle Ethique